L’accordéon est un instrument magique. Lui seul peut se glisser avec autant de facilité de la gouaille à l’élégance, de la sensualité à la candeur, de la joie à la tristesse. Quand Frédéric Viale choisit d’apprendre l’accordéon, il n’est pas encore magicien. C’est d’abord pour faire comme sa grande soeur et surtout pour tous les copains du club d’accordéon ; c’est peut-être aussi, du haut de ses 8 ans, pour accomplir un rêve paternel : avant d’arriver en France, personne dans sa famille d’origine piémontaise n’avait eu les moyens d’apprendre la musique.

Plus contemplatif que studieux à l’école, Frédéric suit en revanche avec assiduité les cours de Lucien Galliano (le père de Richard). Elève doué -et très vite passionné-, il enchaîne les concours. A l’adolescence, il découvre plusieurs maîtres de l’accordéon et du jazz, Astor Piazzolla, Richard Galliano, Stéphane Grappelli et Django Reinhardt. Très tôt, on lui propose de jouer dans les bals. Tous les bonheurs et surtout les vicissitudes de la société humaine se retrouvent sur la piste de danse. Le choc est rude pour le jeune accordéoniste qui vit au contact de la nature, non loin de de la pimpante Cannes. Curieux et indépendant, Frédéric passe des heures à arpenter la campagne environnante, à observer les animaux, en communion avec le soleil. L’argent ne coule pas à flots mais la vie est douce à la ferme familiale et sied à sa personnalité rêveuse mais ancrée dans la terre. Tout son jeu est sous-tendu de cette émotion vraie, à la fois intimiste et ouverte sur le monde.

Avec ses premiers cachets, le jeune artiste complète son éducation jazz en dévalisant le petit rayon musique des supermarchés. Il écoute aussi de la musique classique,
manouche, latine, afro, brésilienne, argentine. En parallèle, il apprend tout le « bon » répertoire musette : André Astier, José Baselli, Gus Viseur, Jo Privat, Tony Murena. Il s’initie au bandonéon. Autodidacte, Frédéric privilégie une approche artisanale de son art, basée sur l’honnêteté, le travail, une modestie non feinte qui donne à sa musique une plus grande sensibilité, loin de l’esbroufe. Frédéric ne veut pas faire le show, mais que sa musique pénètre le coeur des gens. C’est sa seule ambition et c’est presque par hasard que jouer au dancing devient un revenu régulier.

Mais le talent n’aime pas rester confiné. Bientôt d’autres artistes de jazz l’encouragent à composer. Jean-Marc Jafet l’invite à jouer avec lui. En 2004, Frédéric sort Paradise, son premier album, avec la participation de Jean-Pierre Como, puis un deuxième, Lames Latines –toujours de manière indépendante- en 2008 et qu’il enregistre entre Paris et Rio avec André Ceccarelli, Diego Imbert, Marcio Bahia. Pour son troisième album, La Belle Chose, également salué par la critique, Frédéric forme un quartet avec Zaza Desiderio, Natallino Neto, Nelson Veras mais aussi Emanuele Cisi… Les concerts s’enchainent désormais de l’Europe à la Chine, jusqu’à Los Angeles ou plus près de son port d’attache, à Nice, avec les solistes de l’Opéra. Dans chacun de ses albums, aussi différents soient-ils, on retrouve le jazz bien sûr, impérial, mais aussi toutes ses influences musicales et humanistes, la chaleur du Brésil, la simplicité du Sud, et cette même texture organique. Quand Frédéric compose, sa créativité peut être portée par une réflexion approfondie sur le monde ou juste une émotion brute, par le goût du courage, une envie de changement.

Qu'elles soient inspirées par l’énergie fébrile d’une rue passante ou la beauté paisible de la nature, ses phrases mélodiques sont denses, tour à tour teintées d’euphorie ou de tristesse. Sa dextérité alliée à sa générosité, produit un son pur et vivant.

Son quatrième album ne déroge pas à cette règle. Le jazzman de renom qu'il est désormais -au point qu’une illustre marque d'accordéon a créé un modèle à son nompropose une approche résolument moderne, avec des titres assez planants, un son épuré mais aussi beaucoup de groove, et dont chacune des 11 plages évoque des couleurs, à l'image de la très belle pochette* que Frédéric s'est choisie. Réalisé de nouveau avec la complicité de Zaza Desiderio, Natallino Neto et Nelson Veras, l’album fait la place belle à la mélancolie, mais une mélancolie lumineuse, qui sublime plutôt que d’écraser. Un album tout en mélodies et en respirations, fait d’hommages (à son père, à Goyone, à Louiss…) et de clins d’oeil (Indifférence, le « tube » musette totalement déstructuré et ré-harmonisé avec une teinte afro), de sérénité et d’espoir, et qui met en valeur le fameux son « made in Viale » que la fameuse maison Pigini a souhaité reproduire : à la fois feutré et puissant, chaud et précis.

Frédéric n’a répondu à aucune autre pression que son intégrité, celle de faire une musique accessible mais exigeante, pour la partager avec ceux qui le suivent depuis toujours, avec les aficionados de l'instrument, et avec ceux qui l'ont découvert plus récemment, ceux qui avaient peut –être, avant de l’entendre, une vision caricaturale de
l'accordéon auquel Frédéric a su redonner ses lettres de noblesse tout en conservant sa dimension populaire. On pouvait difficilement en attendre moins d'un artiste dont la musique met à nu les "Racines du Ciel"…

En 2018, dans l’album ‘Pars en Thèse Jazz’, Frédéric rend hommage au jazz swing traditionnel, celui qui swingue et qui donne des ailes. Il voue son admiration pour des jazzmen tels que Sonny Clark, Freddie Redd ou encore Duke Pearson et Paul Chambers. Il s’entoure de musiciens de renom : Emmanuele Cisi au sax, Humberto Amesquita au trombone, Aldo Zunino à la contrebasse et Adam Pache à la batterie.
Avec L’envol, son dernier opus sorti en novembre 2020, Frédéric concentre et canalise son énergie créatrice. Les compositions évoluent vers de nouvelles sonorités mais le sens du partage reste. Grâce à son expérience, à sa culture musicale et au talent de ses compagnons musiciens, il se sent libre d’innover et de créer sans limites. Deux musiciens de grand talent, des électrons libres du jazz, se joignent au Quartet. Le pianiste Julian Leprince-Caetano et la chanteuse Chloé Cailleton dont la voix chaude et envoutante s’accorde à merveille avec l’accordéon.

 

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